Question de distance
Par une belle journée, une de celles qui nous ont tellement fait défaut ces derniers temps, j'ai enfourché mon vélo, ivre de respirer le grand air encore pauvre en pollution, mais richissime en particules allergènes macroscopiques. Les graines de pissenlit, avec une nonchalance de flocons qui se sont plantés de saison avant d'être enfournés par la terre.
J'ai serpenté dans les rues sur un trajet habituel, avant de rejoindre les bords de l'Erdre, puis ceux de la Loire un peu plus tard. Partout, du monde. Sur le moindre carré de pelouse, les bancs, les pavés. Dans des endroits où d'habitude personne ne se hasarde. Des masques, ou pas. Des embouteillages de vélos. Des piétons peu partageurs de leur bout de bitume, voire râleurs. Sur les bouches découvertes, des sourires. Sous les masques, des points d'interrogation. Je ne sais pas encore déchiffrer les visages tronqués.
Parmi les jeunes arborant leur carré de tissu, certains s'embrassaient. Le baiser masqué, baiser voilé. Des familles entières aux allures de fantômes blancs. J'ai slalomé au pas entre les poussettes, les promeneurs, les chiens en laisse, les amis retrouvés. Je me suis dis que j'aurais dû mettre un masque. Je ne pensais pas croiser la foule en deux roues. Je me suis échappée vers le Hangar à bananes. Moins de monde, et l'impression de mieux respirer, soudain. Mon regard a été attiré par ces têtes blanches derrière leur vitrine fatiguée cadrée de briques.
J'avoue ne pas avoir regardé le nom de l'artiste animant cet atelier de sculpture, obnubilée par le regard éteint des personnages masqués façon canard de café.
Des masques partout. Nausée. Trop près !
Heureusement, j'ai trouvé non loin de là une suggestion d'évasion. Bon, ok, c'était un cul de sac visuel, mais quand même ! Il faut savoir faire fenêtre de tout bois.
Sur le chemin du retour, un envol d'oiseaux métalliques m'a fait de l'oeil. Emmenez-moi avec vous, j'ai envie de partager votre insouciance immobile, loin de tout ça !
Et puis... quand même, cette semaine, j'ai vécu un plaisir intense, celui de retrouver les bouilles des patients en live. Même masqués, leurs visages sont entiers. Ils ne sont plus déformables ad nauseam derrière un écran. La vision stabilisée, ça a du bon, quand même ! Se sentir utile, aussi.
Photos: Medceline