La noce-t-algie
J'adore les mots, je ne l'ai jamais caché. Et là, cette nuit, dans le confort douillet de ma couette si légère qu'on dirait un nuage, ce néologisme m'a sauté au cerveau.
Qu'on ne s'y trompe pas, une attaque de ce genre ne laisse pas indemne. Le néologisme est un animal sauvage et dévastateur, un être sans pitié qui culbute la langue pour lui faire des petits. Dans une démocratie dotée d'une justice équilibrée, il serait condamné à finir ses jours cloîtré entre les quatre murs d'un dictionnaire.
Le mien, il a frappé sans prévenir. Je vous l'ai dit, je dormais. Il a contourné avec habileté le rêve sans doute épique que je cultivais avec amour à cet instant précis, introduisant un facteur d'incertitude qui a généré illico une once d'inquiétude. Forcément, l'héroïne de mes songes a dégringolé des remparts du château où elle caracolait, épée de verre à la main, combattant un monstre lambda. Sa chute n'a duré que le temps d'une ouverture brutale de mes paupières.
Il me tenait, le bougre ! Sans attendre l'évaporation complète des brumes du sommeil, il m'a asséné un dernier coup de coude dans le plexus. Estomaquée, le souffle coupé, j'ai rompu les dernières amarres qui m'attachaient à la nuit.
J'ai senti quelque chose chatouiller ma joue. Une larme puis deux. Pas plus. Je suis une fille pudique.
J'ai compris soudain la nature du trouble qui me paralysait et m'empêchait d'avancer sur cette route vers l'inconnu, seule. Cette émotion terrible et dévastatrice que je repoussais sans cesse sans comprendre. Moi, la femme bravache au verbe haut cultivant l'autodérision plus vite que mon ombre et d'apparence si quelconque, j'ai accueilli en mon sein cette terrible solitude, cette douleur abominable d'être redevenue la moitié d'un tout. D'avoir quitté le cocon d'un couple fusionnel pour me retrouver les bras ballants, à ne plus savoir où aller, quoi faire, qui je suis.
Les mots sont tranchants. Ils coupent sans hésiter les derniers cordons, ceux auxquels on ne pense pas forcément. Avec un peu de chance, leur lame est aiguisée et imprégnée d'une substance hémostatique. Mais parfois, ils prennent leur temps, sadiques bouchers s'acharnant avec leur couteau à beurre jusqu'à ce que morsure suive. Et quand le repas est servi, ils s'éloignent pour aller tyranniser le chaland d'à côté.
Me voilà donc assise dans mon lit, les yeux hagards, à trois heures du matin, à penser à l'oppressante absence de tous ces "je t'aime" futurs murmurés au creux de l'oreille. J'accepte l'assaut de cette noce-t-algie en bronchant peu. A quoi bon ? Tout changement de vie se doit d'être transformé. Bio-transformé, même. Je vais te me mettre tout ça dans une caisse, laisser décanter en arrosant de temps en temps de sérum physiologique maison, et qui sait ? J'aurai peut-être une belle cargaison de compost pour nourrir de nouvelles floraisons. Quant au - t - médian, je le bois, na !
Le futur n’a qu'à bien se tenir !
Illustration: le saule et le pêcheur, Jean-Marc Moschetti (encre-zen)