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Med'Celine
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26 février 2020

Un peu plus à l'ouest...

briques

 

" Allo, docteur ? Je vous contacte au sujet de madame Truc. Je vais vous expliquer...

Tout a commencé par cet appel d'un infirmier psychiatrique. Il était inquiet pour cette dame, une totale inconnue pour moi. Depuis quelques temps, elle ne prenait plus son traitement neuroleptique retard, et restait prostrée chez elle, refusant de répondre au téléphone et d'ouvrir sa porte, même à ses enfants. Pour lui, la situation était claire : son état nécessitait une hospitalisation, sans doute à la demande d'un tiers. 

Intérieurement, j'ai paniqué. Un instant, rien qu'un instant. J'ai essayé de louvoyer, mais aucune autre solution n'était envisageable. La patiente avait déjà eu d'autres décompensations psychotiques, et cela s'était toujours terminé comme ça. Et comme j'étais dans le secteur, c'était à moi de m'y coller cette fois...

Il a donc fallu organiser un peu les choses. Pas question de débarquer comme une fleur chez une inconnue à côté de ses pompes et de lui parler de but en blanc de restriction de liberté ! J'ai passé quelques coups de fil. D'abord à sa famille, dont on m'avait donné les coordonnées. Le frère était disposé à faire le tiers, mais comme il habitait à 4 h de route d'ici, il fallait lui laisser le temps d'arriver. La police ensuite, histoire d'avoir des gardes du corps, on ne sait jamais. Puis les urgences psychiatriques, qui m'ont fourni un exemplaire du certificat à remplir et des encouragements de circonstance. Le rendez-vous était fixé au lendemain midi.

Après une mauvaise nuit et un détour par une pharmacie pour acheter des ampoules d'un calmant injectable, je me suis retrouvée avec tout ce petit monde devant la porte de la dame. Trois policiers étaient prêts à me faire un rempart de leurs corps. Le petit jeune de l'équipe a sorti son calepin, et a consciencieusement pris les coordonnées complètes du frère de la patiente. Nom prénom date et lieu de naissance numéro de téléphone. Puis il s'est tourné vers moi, et toujours aussi appliqué, m'a posé les mêmes questions. Un de ses collègues, plus expérimenté, l'a regardé d'un air goguenard, avant de lui dire que moi, j'étais le médecin, et que seul mon nom aurait suffi. J'ai renchéri en lui disant que maintenant, il était équipé pour me proposer d'aller boire un coup un de ces 4. Il a rougi, probablement de son excès de zèle, et peut-être aussi à cause de ce qu'il a vu pétiller dans mon regard. Va savoir...

L'heure était venue. J'ai enfilé mon masque de Zorro. Nous avons sonné. Pas de réponse. Gros coups sur la porte. Pas mieux. Les policiers ont donc procédé à l'enquête de voisinnage, qui n'a pas donné grand chose. Les gens en ville ne savent pas qui sont leurs voisins... Avant de défoncer la porte, une dernière tentative a eu lieu, cette fois en annonçant la couleur, "Ouvrez madame, c'est la police !"

C'est fou ce que ça peut changer les choses, la peur du flic ! La porte s'est ouverte sur une dame souriante, genre " Mais de quoi s'agit-il donc ? Je ne vous avais pas entendu, j'étais sur mon balcon !" Chacune des parties a exprimé ses inquiétudes quant à son état. Elle bottait en touche. J'ai lancé quelques phrases test, les réponses étaient presque parfaites. Et puis quelques fêlures ont émergé, avec un zeste d'incohérence, quelques phrases déconnectées de la réalité. Le doute n'était plus permis, elle avait bien besoin d'aide. Je voulais à tout prix éviter d'avoir à dégainer mon arsenal piquant, je me serais sentie aussi à l'aise qu'un lapin avec une arquebuse... Nous avons donc tout fait pour ne pas l'effrayer. Elle a finalement accepté de partir librement au bout d'une heure de discussion.

Je me suis isolée pour appeler le 15, pour avoir une ambulance. A leur arrivée, je leur ai fait des transmissions et leur ai remis les papiers remplis. Au cas où. La dame est partie. Et je me suis retrouvée là, sur le trottoir, vidée de toute énergie, l'estomac criant famine et la vessie pleine à éclater. J'ai salué la famille, et les policiers. Et une fois tous ces gens partis, j'ai resonné chez la voisine d'à côté. Elle m'a sauvé la vie en me laissant utiliser ses toilettes. Je fais vraiment un métier formidable, qui me permet ainsi de faire pipi chez de parfaits inconnus...

 

***

 

Ce texte est écrit selon la consigne d'Olivia.

Les mots à placer : inconnu - restriction - claire - test - transmission - masque - zèle - louvoyer - arquebuse - émerger - pétiller.

olivia

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Commentaires
O
J'allais dire que ça sonnait tellement crédible, puis je lis dans les commentaires que c'est du vécu. Très bien retranscrit, et les mots imposés s'y glissent avec facilité.
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G
Je suis admirative de ta capacité à nous faire vivre cet épisode de ta vie professionnelle J'ai déjà vécu de telles situations, et tu as parfaitement retranscrit la difficulté du médecin devant la nécessité d'hospitaliser en dépit du refus du patient Et j'ai beaucoup apprécié ton envie pressante qui met un peu plus de piment à cet épisode
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M
Merci Adrienne ! Il faut dire que quand j'ai une envie pressante, je vendrais père et mère pour l'assouvir !!
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A
ah c'est fort, cette histoire... fort de vécu et d'intensité... <br /> <br /> (et quel bonheur que la voisine ait permis d'utiliser ses toilettes! la chose a été refusée à une de mes nièces, sous je ne sais plus quel prétexte)
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J
Un pur délice que de te lire!!! On se fait parfois des scénarios dans notre tête et finalement tout se passe bien!
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Med'Celine
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